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Briser le tabou des mutilations génitales féminines entre soignants et patientes, pour un meilleur accompagnement

À l’hôpital Bichat, un groupe de recherche a conçu une formation, à destination des professionnels de santé, pour mieux dépister les mutilations génitales féminines, orienter les femmes qui en ont besoin vers un accompagnement et des soins adaptés, et faire de la prévention.

Les mutilations génitales féminines (MGF) recouvrent l’ensemble des interventions qui consistent à altérer ou à léser les organes génitaux de la femme pour des raisons non médicales. Elles sont considérées au niveau international comme étant une violation des droits humains des femmes et des filles, notamment de leurs droits à la santé, à la sécurité et à l’intégrité physique, ainsi que de leur droit à la vie lorsque ces pratiques ont des conséquences mortelles.” Voici comment les Nations Unies présentent ces pratiques, auxquelles sont exposées au moins 4 millions de jeunes filles chaque année dans le monde.

En France, on estime que 125 000 femmes adultes seraient concernées. Les mutilations génitales féminines, telles que l’excision, touchent aussi bien des filles et femmes migrantes que d’autres nées en France de parents originaires de pays où elles sont pratiquées.

©Jurien Huggins

La population des femmes ayant subi des mutilations génitales est très hétérogène. “Il n’y a pas un seul type d’excision, pas un seul profil de femme excisée, explique Armelle Andro, socio-démographe et professeure à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Et les conséquences sur la vie des femmes concernées peuvent être très variables. Certaines subissent des conséquences lourdes et quotidiennes, d’autres mènent une vie totalement normale.” Et entre ces deux extrêmes, il y a autant de cas de figures que de femmes, pour lesquelles les séquelles prennent de multiples formes : complications à court terme – douleurs intenses, saignements, infections, difficultés à uriner – comme à long terme pour leur santé sexuelle, reproductive mais aussi mentale.

“J’ai appris mon excision pendant un accouchement. Ensuite il a fallu que je me débrouille toute seule avec ça.”

Si les femmes qui ont subi des mutilations génitales ont toutes un vécu différent, toutes portent le poids du tabou. Au point que certaines femmes ne savent même pas qu’elles ont été excisées dans leur enfance et le découvrent une fois adultes, au démarrage de leur vie sexuelle, au cours d’un rendez-vous médical ou bien même au moment de donner la vie. C’est ce qui est arrivé à Niouma* : “J’ai appris mon excision pendant un accouchement. On a fait entrer des stagiaires dans la salle d’accouchement pour leur montrer mon excision. C’est comme ça que je l’ai su. Ensuite il a fallu que je me débrouille toute seule avec ça. Et pourtant ce n’était pas mon premier enfant… Aucun médecin ne m’en avait parlé avant ! D’où vient le blocage ?

Pendant longtemps on a pensé que les femmes concernées ne voulaient pas en parler. Entre 2007 et 2009, j’ai coordonné la première grande enquête nationale menée auprès de près de 700 femmes ayant subi des mutilations génitales et vivant en France. Cette enquête a démontré qu’au contraire, très majoritairement, elles voulaient et avaient besoin d’en parler”, raconte Armelle Andro. “Or la plupart des professionnels de santé sont démunis face à elles car ils ignorent totalement le sujet ou en ont une vision très caricaturale. Et comme en plus cela concerne le clitoris, un organe largement méconnu des femmes elles-mêmes en général, le dialogue ne se fait pas.

“L’excision est très peu abordée pendant la formation médicale”

Docteure Claire Tantet, médecin en Maladies infectieuses et Tropicales à l’hôpital Bichat (Paris) et à l’hôpital Avicenne (Bobigny), est responsable de la formation des internes en Maladies infectieuses sur le sujet de l’excision. Elle explique qu’aujourd’hui encore, “l’excision est très peu abordée pendant la formation médicale”.

Comment faire de la prévention ? Comment en parler quand on constate l’excision sur une patiente ? Comment orienter les femmes et vers quelle prise en charge ? Autant de questions avec lesquelles la plupart des soignants doivent se débrouiller… De leur côté, les femmes concernées, même si elles ont besoin que ce silence soit brisé, n’osent pas faire le premier pas. La plupart attendent des médecins qu’ils prennent les devants. Un malentendu qui ne fait qu’alimenter le tabou.

Pour débloquer cette situation, docteure Claire Tantet a choisi de former les professionnels de santé, en commençant par ceux du centre de vaccination international de l’hôpital Bichat et des services de Maladies infectieuses de Bichat et Avicenne, en contact direct avec les populations issues de pays où est pratiquée l’excision.

“La plupart des professionnels de santé sont démunis car ils ignorent totalement le sujet. Et comme en plus on parle d’un organe méconnu des femmes elles-mêmes en général, le dialogue ne se fait pas.”

Armelle Andro Socio-démographe et Professeure à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

On sensibilisait les soignants mais ça n’allait pas plus loin. On s’est demandé comment faire pour qu’ils soient plus à l’aise avec ce sujet.

Elle explique : “À Bichat, quand on faisait une transmission verticale classique, avec un powerpoint, on sensibilisait les soignants mais ça n’allait pas plus loin. On s’est demandé comment faire pour qu’ils soient plus à l’aise avec ce sujet. On a décidé de monter un groupe de recherche en réunissant des compétences médicales mais aussi en sociologie et démographie.
Avant de concevoir la formation, l’équipe a commencé par récolter la parole de femmes qui ont subi des mutilations génitales.

Outils utilisés lors de la formation sur les mutilations génitales féminine.

"Je me sens préparée pour amener le sujet, je sais à quel moment de la consultation et de quelle manière le faire."

Christine Castera Infirmière au service Maladies infectieuses de l’hôpital Avicenne

Pour cela, elle s’est appuyée sur des associations telles que la Maison des femmes ou Ikambere à Saint-Denis, qui accompagnent des femmes migrantes. Des “focus groupes” ont été organisés pour demander aux premières intéressées, comme Niouma, de partager leur expérience avec le corps médical sur ce sujet, ce qu’elles attendent des soignants, la façon dont elles veulent que ce sujet soit abordé, avec quels mots… “Nous avons également interrogé les professionnels qui allaient recevoir la formation sur ce qui pouvait les freiner et ce qu’ils attendaient en pratique d’une telle formation”, ajoute Claire Tantet.

Bahar Azadi, docteure en philosophie, travaille en binôme avec Claire Tantet sur ce projet, notamment pour l’analyse socio-anthropologique des focus groupes avec les femmes et des entretiens auprès des professionnels. Elle résume ce qu’elles ont appris : “Le premier message, c’est que le silence est mal vécu. Ensuite, elles aimeraient une absence de jugement, que le soignant utilise les bons mots, même si elles ne sont pas toutes d’accord sur le vocabulaire à utiliser. D’ailleurs, pour elles, même si le médecin est maladroit, même s’il n’utilise pas les bons mots, c’est toujours mieux que le silence. Et puis les femmes que l’on a rencontrées souhaitent que le médecin, qui a un rôle social important et donc une autorité, ait un minimum de connaissances juridiques qui lui permettent de passer des messages devant la famille pour prévenir l’excision des petites filles lors d’un voyage dans le pays d’origine.

Il s’agit davantage de transmettre des postures d’accompagnement que de former. Grâce à ces scènes tirées de faits réels, on peut observer les mécanismes relationnels et émotionnels.

La parole de ces femmes a constitué un ingrédient précieux pour construire la formation. Pour l’équipe, c’est un socle solide qui donne sa valeur et sa force au propos. Pour l’utiliser au mieux, l’équipe a fait appel à l’organisme de formation Ivolve et à une méthode particulièrement adaptée pour mettre en lumière cette parole, appelée « théâtre forum”. Le principe : la formation se fait avec le concours d’une comédienne qui s’approprie les témoignages de femmes recueillis en amont pour jouer avec les participants des scènes de vie, en l’occurrence des interactions soignant/patiente. Emmanuel Levard, associé-fondateur d’Ivolve, explique : “au cours de cette formation, nous avons travaillé sur le triptyque savoir/savoir-faire/savoir-être. On a apporté des outils, enseigné le cadre légal et surtout ouvert cet espace de dialogue et de partage entre professionnels. Il s’agit davantage de transmettre des postures d’accompagnement que de former. Grâce à ces scènes tirées de faits réels, on peut observer les mécanismes relationnels et émotionnels. Cette technique nous permet de mettre des situations sur pause, de faire du coaching en direct, de débriefer en groupe avec les participants… un peu comme un support de groupe de parole. Cela génère de l’expérience.” Une expérience qui peut alors être mise à profit dans la vraie vie.

Je n’ai plus d’appréhension à aborder l’excision. Je me sens préparée pour amener le sujet.

Ce que confirme Christine Castera, infirmière au service Maladies infectieuses de l’hôpital Avicenne, qui a suivi la formation : “J’aime beaucoup cette manière de former car on voit son collègue faire, on expérimente et cela nous renvoie une image de ce que l’on peut faire et voir ce qui va ou ne va pas. Grâce à cela, je n’ai plus d’appréhension à aborder l’excision. Je le faisais parfois avant mais il a pu m’arriver de laisser passer des occasions parce que j’étais mal à l’aise. Maintenant, étant en contact avec des familles qui partent avec des petites filles dans des pays ou il y a 75% d’excision, je vais l’aborder de façon plus systématique. Je me sens préparée pour amener le sujet, je sais à quel moment de la consultation et de quelle manière le faire.

Cette formation a vocation à être étendue à d’autres types de services, pour que partout où les soignants peuvent être amenés à rencontrer des femmes excisées ou des petites filles à risque de l’être, le dépistage et la prévention puissent être fait. Et qu’in fine, les femmes qui en ont besoin soient orientées vers un accompagnement adapté et pluridisciplinaire. Pour cela, l’équipe de recherche va plus loin, comme l’explique le Docteure Claire Tantet : “Nous avons publié des articles scientifiques sur ce qui a déjà été fait et travaillons pour aboutir à des recommandations en France pour la médecine des voyages sous forme de guides pour les professionnels. En parallèle, nous participons à un projet de recherche plus large avec des équipes belges, canadiennes et suisses et nous travaillons sur des recommandations européennes pour uniformiser les pratiques. Nous allons aussi utiliser le même protocole pour élaborer une formation sur les violences sexuelles subies par les hommes pendant les parcours migratoires. ”

* Le prénom a été modifié

Pour en savoir plus

Le Groupe Inter Hospitalier Bichat Claude-Bernard est lauréat de l’appel à projets 2019 de la Fondation nehs Dominique Bénéteau. Pour en savoir plus sur ce projet, cliquez ici.

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