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Médiation en santé : quand Médecins du Monde combat les inégalités d’accès aux soins

Médecins du Monde mène un programme de médiation en santé dans trois territoires en France métropolitaine pour accompagner les personnes qui rencontrent des difficultés d’accès aux soins. Son but : faire le lien avec l’administration, les professionnels de santé et les acteurs sociaux et démontrer l’utilité du travail de médiation pour que d’autres acteurs s’en emparent.

Le Code de la santé publique garantit “l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé”. Pourtant, certaines populations rencontrent encore des difficultés à la fois d’ordre administratif (pour ouvrir leurs droits à la CPAM en particulier) et d’accès aux soins eux-mêmes. D’importantes inégalités demeurent, trouvant leur source dans des problématiques socio-économiques mais aussi géographiques ou démographiques. Les difficultés rencontrées ne sont ainsi pas les mêmes en territoire rural ou urbain. Pour analyser les diverses sources d’inégalité, accompagner les personnes qui en ont besoin et trouver des solutions pérennes à ces problématiques, Médecins du Monde s’est implantée dans deux zones rurales et une zone urbaine. Elle est présente depuis 2013 dans Les Combrailles (Auvergne) et depuis 2016 en Haute Vallée de l’Aude (Occitanie) ainsi que dans le quartier de Lille Sud (Hauts-de-France).

En Haute Vallée de l’Aude, en raison de l’isolement et du manque d’autonomie, les plus fragiles ne vont plus voir les services sociaux et renoncent à leurs droits. © Olivier Papegnies / Collectif Huma

Les Combrailles et la Haute Vallée de l’Aude présentent de nombreuses similitudes. La densité de population y est très faible, les taux de chômage et de pauvreté beaucoup plus élevés que la moyenne nationale, la population vieillissante… Dans ces territoires enclavés, les services publics se sont désengagés et il faut aller de plus en plus loin pour accéder aux principaux guichets. Les transports en communs se sont raréfiés eux aussi. À ce contexte d’isolement vient s’ajouter la sous-densité médicale : il faut aller dans les grandes villes, à des dizaines de kilomètres, pour voir un spécialiste et la plupart des généralistes encore présents sont proches de la retraite. Comment faire alors pour accéder au système de soin quand on est en situation de précarité, sans moyen de locomotion ou sans argent pour payer l’essence, que l’on a pas d’accès à internet, que l’on méconnaît ses droits et les structures administratives ?

À Lille Sud, quartier prioritaire de la politique de la ville, la précarité est aussi présente. La barrière de la langue et la méconnaissance des droits font de la complexité du système administratif une barrière difficilement franchissable. “Les ¾ des personnes que nous avons accompagnées en 2019 étaient des personnes étrangères et plus de la moitié d’entre elles étaient en situation irrégulière et en demande de l’aide médicale d’Etat, complexe à obtenir et nécessitant de nombreux justificatifs”, explique Elvina Amoros, coordinatrice du programme à Lille Sud.

Partout, ces difficultés cumulées, parfois couplées à une mauvaise expérience antérieure avec l’administration ou les professionnels de santé, peuvent conduire au non-recours et au renoncement aux soins. C’est là que Médecins du Monde a décidé de jouer un rôle, comme le résume Claire Dugleux, coordinatrice dans Les Combrailles : “sur notre territoire, on n’a pas les moyens de pallier la sous densité médicale mais on peut faire le lien entre les professionnels du médico-social, les services publics et les personnes que l’on accompagne pour qu’elles ne soient pas en rupture avec le système de santé”.

Dans les Combrailles, la ligne de chemin de fer a été coupée, les bus sont rares, le centre de Sécurité Sociale le plus proche est à 1h30 de route, les médecins spécialistes sont loin… Médecins du Monde y a créé un service de co-voiturage solidaire baptisé CovoitSanté 63. © Olivier Papegnies / Collectif Huma

“Même si c’est long, on prend le temps”

Faire le lien. Ce pourrait-être en trois mots une définition de la médiation en santé. Pour les médiateurs il s’agit toujours de commencer par “aller vers” la population pour se faire connaître, détecter les personnes qui ont besoin d’un accompagnement et gagner leur confiance. Pour “aller vers”, il faut provoquer la rencontre, se déplacer dans les villages les plus reculés pour les zones rurales, aller sur les marchés, dans la rue, dans les squats ou autres lieux de vie alternatifs (en Haute Vallée de l’Aude par exemple, certaines personnes vivent dans des camions, en yourte et parfois en pleine forêt)… La médiation nécessite ensuite de prendre le temps. Le temps de comprendre la personne et ses problématiques dans leur globalité, y compris tout ce qui freine son accès aux soins et qui ne relève pas du médical. Car il y a parfois des réactions en chaîne. comme l’illustre David Le Nechet, coordinateur en Haute Vallée de l’Aude : “Un logement insalubre peut provoquer des problèmes de santé, il faut alors traiter la source du problème et on peut être amenés à accompagner les personnes pour une demande de logement”.

Sur notre territoire, on n’a pas les moyens de pallier la sous densité médicale mais on peut faire le lien entre les professionnels du médico-social, les services publics et les personnes que l’on accompagne pour qu’elles ne soient pas en rupture avec le système de santé.

Claire Dugleux coordinatrice dans Les Combrailles

Comprendre les difficultés administratives, financières ou sociales permet de guider vers les bons interlocuteurs, d’aider à rétablir les droits… Tout ceci en suivant un principe crucial de la médiation : le “faire avec”. En d’autres termes, pas question de faire à la place des personnes accompagnées, le but est de les mener vers plus d’autonomie. Laura Huber-Mahouchi, médiatrice en Haute Vallée de l’Aude, raconte : “même si c’est long, on prend le temps. Ce matin j’ai vu un monsieur pendant 1h45, dans une démarche d’écoute active et pour l’accompagner sur des problématiques administratives. Je lui ai expliqué la procédure à suivre puis j’ai fait les choses avec lui. Il devait notamment écrire une lettre. Je l’ai accompagné mais c’est lui qui l’a faite, là où un agent des services sociaux l’aurait sûrement rédigée à sa place, par manque de temps… L’idée étant de développer le pouvoir d’agir des personnes de manière à ce qu’elles n’aient plus besoin de nous solliciter.  Il était très ému car il n’avait pas écrit depuis longtemps et il a réalisé qu’il en était encore capable. Il a même tenu à faire une photocopie de sa lettre pour la garder comme modèle.

Les médiateurs et médiatrices prennent le temps. Le temps d’écouter, d’expliquer, de “faire avec”. Un premier entretien dure environ 1 heure pour cerner toutes les difficultés rencontrées par les bénéficiaires, qu’elles soient directement ou indirectement liées à leur santé. © Ludovic Combe

Au-delà de cette démarche individualisée, le programme de médiation est aussi là pour organiser, auprès des communautés, des actions de prévention sur différentes thématiques (cancer, alimentation, maladies sexuellement transmissibles…) ainsi que des journées de dépistage, avec l’aide de bénévoles et notamment des professionnels de santé. Il s’agit également de travailler en réseau, comme à Lille-Sud, où la vie associative est très riche, où des centres sociaux et services publics sont présents mais saturés.

Au démarrage du programme à Lille-Sud, le médiateur a organisé des maraudes dans la rue, les bars, les brasseries, au marché, avec des bénévoles, pour faire connaître le programme de médiation et nouer une relation de confiance avec la population.

Wassim Abdel-Nour, médiateur à Lille-Sud, a ainsi pris le temps de se faire connaître lorsqu’il est arrivé : “j’ai beaucoup participé à des réunions et des temps forts du quartier, je suis allé dans les centres sociaux… sans objectif précis mais pour faire connaître mon métier, nouer des liens. Et puis cela m’a permis de montrer ma disponibilité, comprendre la dynamique locale entre les différents acteurs présents et les habitants pour avoir une vue plus fine des enjeux propres au quartier.”

Ce travail de fond de Médecins du Monde a une finalité plus globale. Pour l’ONG, il ne s’agit pas de s’implanter sur ces territoires pour une durée indéterminée. Son ambition est plus grande : faire reconnaître la nécessité de la médiation en santé aux pouvoirs publics et transférer ses compétences en la matière à des acteurs locaux. Pour cela, elle a mis en place un système de suivi des dossiers, elle en collecte et en analyse les données, documente son travail… C’est notamment grâce à cette démarche débutée dès 2013 dans les Combrailles et aux efforts de plaidoyer de l’organisation que la Haute Autorité de Santé a reconnu en 2017 le métier de médiateur ou médiatrice en santé.

Des bénévoles Médecins du Monde lors d’une journée de prévention du cancer du sein dans le quartier de Lille Sud.

Un premier pas qui était nécessaire pour professionnaliser l’activité mais aussi ouvrir la possibilité pour les porteurs de projets de médiation en santé de recevoir des financements par les Agences Régionales de Santé (ARS). Un exemple emblématique : dans les Combrailles, Médecins du Monde est aujourd’hui en phase de transfert du programme de médiation qui va être repris par la Mutualité Française du Puy de Dôme, avec des financements de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes. Un transfert qui se fait sur des bases solides avec un accompagnement de la nouvelle médiatrice par l’équipe Médecins du Monde pour lui faire rencontrer les bénéficiaires et les partenaires afin qu’il n’y ait pas de rupture de lien.

Pour en savoir plus

Médecins du Monde est l’un des trois grands partenaires de la Fondation nehs Dominique Bénéteau, bénéficiant d’un soutien pluriannuel.
Pour en savoir plus sur ce projet,  cliquez ici.

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