Centre Primo Levi : la nécessaire pluridisciplinarité pour accompagner les patients exilés ayant subi la torture et la violence
Situé à Paris, le Centre Primo Levi accueille les adultes, enfants et adolescents exilés en France ayant subi la torture ou la violence politique dans leur pays d’origine.
Le Centre Primo Levi accueille chaque année plus de 350 personnes originaires de plus de 40 pays différents. Ces patients bénéficient d’un accompagnement global. Avec le suivi psychologique, ils sont accompagnés pour mettre des mots sur leurs souffrances et sortir petit à petit de l’omniprésence des événements traumatiques qu’ils ont vécus. Le travail des médecins et kinésithérapeutes porte sur les séquelles physiques directes et indirectes liées aux mauvais traitements. Les assistants sociaux se chargent de la mise en place ou du renouvellement d’une couverture médicale et répondent aux besoins fondamentaux (avoir un toit, des moyens de subsistance, une activité…). Et l’accompagnement des juristes couvre toutes les étapes de la procédure de demande d’asile.
“Ces gens ont tout perdu : leur dignité, leurs repères, leur langue… Ils ont tout quitté. Il faut bien comprendre qu’un seul suivi ne peut pas répondre à tout cela.”
Pour Agnès Afnaïm, médecin généraliste au Centre Primo Levi : “La pluridisciplinarité est primordiale. En tant que médecin, c’est important pour moi d’avoir une idée de l’arrière-plan, de savoir dans quelle mesure le patient a un toit, accès à de la nourriture, où il en est de ses démarches d’asile. Si par exemple on sait que la personne n’a pas d’hébergement et de nourriture, on ne peut pas prescrire les mêmes médicaments : on ne donne pas de somnifères à quelqu’un qui vit dans la rue. On ne donne pas non plus de médicaments forts à quelqu’un qui ne mange pas à sa faim.”
Cette connaissance multidimensionnelle permet ainsi à chacun d’adapter sa pratique face à des patients qui ont vécu l’impensable. Pour Helena d’Elia, psychologue clinicienne et psychanalyste : “Ces gens ont tout perdu : leur dignité, leurs repères, leur langue… Ils ont tout quitté. Il faut bien comprendre qu’un seul suivi ne peut pas répondre à tout cela. On ne peut pas prétendre être dans la toute puissance.”
C’est valable aussi pour l’accompagnement social : “Nous recevons des personnes avec des problématiques administratives et familiales très diverses, nous devons prendre en compte une multitude de facteurs. Cela demande un engagement et une connaissance de la question de l’exil. Helena, en tant que psychologue, a des choses à m’apporter. Les accompagnements que nous offrons ne seraient pas possibles s’ils n’étaient pas pensés dans ce cadre pluridisciplinaire”, explique Pauline Langlade, assistante sociale.
Le lien de confiance que l’on tisse avec les patients leur permet de sortir de la sidération, de poser des mots, de penser à nouveau, de retrouver leur condition de sujet qui a des choses à dire, puis de voir comment vivre avec ça.
“Échanger avec les collègues nous permet de prendre du recul, de penser autrement”
La pluridisciplinarité permet aussi aux professionnels, quelle que soit leur spécialité, de se soutenir les uns les autres. “Échanger avec les collègues nous permet de prendre du recul, de penser autrement. Travailler ici demande une grande disponibilité d’accueil, d’écoute. Nous sommes face à trop de violence, on n’est jamais préparé à cela. On peut avoir de l’émotion mais c’est important de prendre un temps de recul”, résume Helena d’Elia. Un recul primordial comme l’explique Agnès Afnaïm : “Nous devons pouvoir continuer même dans l’écoute de l’horreur. Il y a toujours un risque de s’user mais il faut continuer à écouter. J’ai l’exemple d’une jeune femme que je voyais régulièrement. Atteinte d’une fibromyalgie qui lui causait des douleurs partout dans le corps, elle était en colère contre les médecins. Chaque semaine elle venait m’agresser. Un jour, je lui ai demandé ce que ça lui faisait de ressentir cette douleur. Elle m’a répondu que cela enserrait tout son corps, toute la journée, toute la nuit, sans échappatoire, comme la prison où elle avait été détenue pendant 8 ans. À partir de là, elle a continué de venir me voir et je n’étais plus l’objet de sa colère. Cela montre l’importance de savoir saisir l’équivoque même dans un discours inamovible.”
“La première chose à laquelle je m’attèle, c’est restaurer le lien”
Pluridisciplinarité, dialogue, écoute. Il y a un autre mot qui fait consensus au Centre Primo Levi : le lien. “Les violences politiques et la torture attaquent à la fois les liens intimes, de soi à soi, et les liens interpersonnels”, explique Agnès Afnaïm. “La première chose qui m’incombe c’est de soulager. Néanmoins, avant cela, la première chose à laquelle je m’attèle, c’est restaurer le lien. Pour nos patients, que la violence a détruits, le cabinet du médecin est un laboratoire in vivo de la possibilité d’une confiance à nouveau envisageable. C’est le patient qui donne le tempo et nous on l’accompagne.”
Pour Helena d’Elia, “ils sont enfermés dans un traumatisme, une grande souffrance. Le lien de confiance que l’on tisse avec eux leur permet de sortir de la sidération, de poser des mots, de penser à nouveau, de retrouver leur condition de sujet qui a des choses à dire, puis de voir comment vivre avec ça. Pour que la violence ne les habite pas en permanence, qu’elle ne les empêche pas de vivre même s’ils ne l’oublient pas.”
“La question du lien est très présente pour moi aussi, explique Pauline Langlade. Ainsi que la temporalité. Je peux avoir un objectif qui peut être opérationnel mais je m’adapte au rythme de la personne. Cette relation de confiance est primordiale.”
“L’objectif est que les personnes que l’on suit reprennent pied dans leur vie”
“On ne guérit pas de la torture” comme le dit justement Agnès Afnaïm. Alors quels sont les signes de l’impact positif de l’accompagnement des patients ? Pour Helena d’Elia, “la capacité à reprendre sa vie en main est un signe. C’est très variable mais certains vont très loin. C’est bouleversant de voir ça.” “La manifestation du désir montre une amélioration. Être dans un projet, qu’il soit professionnel ou autre, et même s’il y a toujours un besoin d’accompagnement”, ajoute Pauline Langlade.
Pour Agnès Afnaïm, “l’objectif est que les personnes que l’on suit reprennent pied dans leur vie. J’ai l’exemple d’une patiente torturée et laissée pour morte. Au début, elle se cachait, ne parlait pas, mettait du journal sur les fenêtres de l’endroit où elle était hébergée. Aujourd’hui, elle n’est pas dénuée de douleurs, de contradictions, d’angoisses, mais elle a trois enfants et un travail. Elle est dans la vie.” Et elle conclut : “Parfois aussi le professionnel ne peut rien. Mais on peut toujours maintenir un lien d’être à être tout en restant professionnel. On ne sait jamais ce que ça peut donner.”
Pourquoi nous soutenons le Centre Primo Levi ?
L’approche du Centre Primo Levi offre un accompagnement humain, basé sur l’écoute et le respect, qui permet aux patients de tisser des liens avec les autres et avec eux-mêmes afin de restaurer la confiance et de favoriser leur reconstruction. Cette démarche unique de soins qui repose sur la pluridisciplinarité vise à offrir un accompagnement global – mais individualisé – prenant en compte les problématiques psychologiques, médicales, sociales et juridiques de chaque patient.
Pour en savoir plus sur le Centre Primo Levi, rendez-vous sur la page du projet.