Interview de Sylvie Guillaume, de la Chaîne de l’Espoir : “Pour les soignants, c’est rassurant de voir que l’enfant a quelqu’un auprès de lui.”
Dans le cadre de ses actions en faveur de la santé et du bien-être des enfants, l’association La Chaîne de l’Espoir mène un programme d’accompagnement des enfants isolés hospitalisés.
Aujourd’hui, une centaine de bénévoles accompagnent ces enfants qui sont isolés principalement du fait de l’éloignement géographique de leurs parents, ou parfois parce qu’ils ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance. Sylvie Guillaume, Responsable des bénévoles de La Chaîne de l’Espoir, nous raconte leur rôle, ce qu’ils apportent aux patients mais aussi aux soignants.
Pourquoi est-ce important d’être aux côtés des enfants isolés pendant le parcours à l’hôpital ou en soins de suite et quel est le rôle des bénévoles que vous coordonnez ?
Lorsqu’il se retrouve seul à l’hôpital, un enfant peut être atteint d’hospitalisme* ou de dépression. Même si les soignants sont attentifs, il y a beaucoup de turn over et ils manquent de temps. Les enfants sont soignés, mais sans trop leur demander leur avis et leur détresse psychologique n’est pas toujours palpable. Lorsqu’ils viennent des territoires d’outre-mer ou de l’étranger et qu’ils sont là suite à une évacuation sanitaire en métropole, il y a un vrai déracinement. La culture et la langue peuvent être différentes aussi. Et lorsqu’ils résident en France métropolitaine, l’hospitalisation constitue tout de même une rupture avec leur quotidien. Nos bénévoles les sécurisent, les rassurent, ils sont aussi parfois leur porte parole.
Que font les bénévoles concrètement avec les enfants, comment décririez-vous leurs interactions ?
Pour commencer, la bénévole – ce sont majoritairement des femmes qui accompagnent les enfants – est toujours la même. Elle lui rend visite trois fois par semaine à l’hôpital et entre deux et trois fois en établissement de soins de suite. Les visites se font y compris le week-end, comme pour n’importe quel autre patient. Ce qui compte c’est la régularité : la bénévole est là pour lui, c’est quelqu’un à qui se confier, quelqu’un sur qui il doit pouvoir compter.
Concrètement, quand on arrive, on se présente au poste de soin mais il n’y a pas d’échange sur la maladie dont souffre l’enfant : on ne la connaît pas et on est juste au courant du contexte en fonction des soins reçus. Une fois avec l’enfant, on est surtout dans l’échange : ils aiment qu’on raconte l’extérieur, qu’on parle de ce qui se passe chez eux. On les met en valeur. Ce sont parfois des discussions banales mais qui pour lui, enfermé dans sa chambre, peuvent paraître extraordinaires. D’autres seront beaucoup dans le jeu.
Dans tous les cas on essaie toujours que ce soit participatif et on s’adapte à son envie ou non. S’il n’a pas envie de parler, on n’insiste pas. Parfois la présence suffit. Nous avons eu un jour une petite fille qui, lorsque la bénévole était là, quittait la pièce puis revenait… en réalité elle la testait pour vérifier qu’elle ne partait pas. Notre rôle pourrait d’ailleurs se résumer ainsi : être là. C’est cela qui sécurise psychologiquement. La bénévole est là jusqu’à la fin de l’hospitalisation, quelle que soit l’issue.
Il faut également parfois être “soutenant” pour les parents : on fait toujours en sorte que le lien soit harmonieux pour tout le monde. Quand le parent arrive, on laisse la place.
Qu’apporte la présence des bénévoles aux soignants ?
Pour les soignants, c’est rassurant de voir que le patient dont ils aimeraient s’occuper un peu plus a quelqu’un auprès de lui. On évite néanmoins d’être associés au soin, même si parfois notre présence peut être rassurante. Les professionnels de santé peuvent aussi avoir une charge émotionnelle face à ces patients. Notre présence les tranquillise et allège cette charge. Et puis dans certaines situations, quand l’interaction est compliquée, ils peuvent se tourner vers la bénévole pour les aider à comprendre une situation, une réaction. On a l’avantage de pouvoir prendre le temps de s’intéresser à la culture de l’enfant, par exemple à ses habitudes alimentaires qui peuvent être très différentes et qui font que certains ne mangent pas. Il peut notamment arriver qu’une bénévole prépare quelque chose pour l’enfant.
Notre force c’est notre fiabilité : elle est aussi essentielle pour les soignants que pour les enfants. Je veux d’ailleurs souligner que nous faisons partie des rares associations qui ont pu revenir vite au sein des établissements au début de la crise liée au Covid. Les équipes hospitalières ont été formidables, elles ont tout mis en place pour que l’on puisse communiquer en visio, envoyer des cartes postales… Il y avait un manque et elles nous ont permis de revenir dès que possible. C’était une véritable reconnaissance pour nous.
Avec l’enfant, on est surtout dans l’échange : ils aiment qu’on raconte l’extérieur, qu’on parle de ce qui se passe chez eux. On les met en valeur. Ce sont parfois des discussions banales mais qui pour lui, enfermé dans sa chambre, peuvent paraître extraordinaires.
Comment se met en route le dispositif dans un service, que ce soit à l’hôpital ou en établissement de soins de suite ?
On se repose sur les différentes antennes de la Chaîne de l’espoir pour voir où il y aurait des besoins. On contacte ensuite les services hospitaliers, les assistantes sociales, éducateurs, psychologues, chefs de service… Et puis on explique ce qu’on fait. Parfois la mise en route peut faire peur. Les équipes hospitalières peuvent craindre que notre présence leur donne plus de travail. Pour chaque établissement, une coordinatrice est là pour faire le lien entre soignants et bénévoles. Quand l’accompagnement se met en place, l’assistante sociale et elle prennent contact et la personne qui accompagnera l’enfant concerné est choisie. Cette coordinatrice est aussi là pour le suivi. Tous les trois à six mois, elle participe ainsi à une réunion avec le service – psychologue, cadre de santé, assistante sociale, médecins… – pour faire le point sur les accompagnements.
Aujourd’hui, nous sommes présents en Île-de-France principalement, ainsi que dans deux établissements à la Réunion et à Tours depuis peu. Grâce au travail réalisé dans le cadre de notre évaluation d’impact social, actuellement en cours de réalisation par l’Agence Phare et soutenue par la Fondation nehs, on sait déjà mieux mettre en évidence notre action, la valoriser. On a maintenant très envie de se déployer ailleurs, dans d’autres régions !
* Le terme “hospitalisme” a été créé pour “décrire l’altération du corps liée à un long séjour dans un hôpital ou aux effets nocifs du placement en institution durant le premier âge. Cette dernière situation se caractérise par une interruption de la relation déjà instaurée entre la mère et l’enfant, par une insuffisance dans les échanges affectifs nouveaux et les stimulations (substitut maternel peu satisfaisant ou substituts multiples) et par une difficulté pour le sujet à s’identifier à une image stable.” (source).
Pourquoi nous soutenons ce projet ?
Ce programme d’accompagnement des enfants isolés hospitalisés illustre parfaitement l’importance de prendre soin de l’humain dans le parcours de soin. Les enfants suivis, a fortiori lorsqu’ils sont déracinés, ont besoin d’un tiers de confiance, à qui ils peuvent se confier, sur qui ils peuvent compter, même dans le silence. Quelqu’un qui offre du lien humain et qui peut servir d’interface avec les soignants.
Attention, écoute, dialogue, confiance, collaboration sont les piliers de ce dispositif et en font un exemple de médiation en santé, au sens large du terme. Grâce à leur expérience et en se faisant porte-parole de l’enfant, les bénévoles de la Chaîne de l’Espoir offrent cette dimension de médiation aux soignants, d’autant plus importante en cette période de surcharge de travail, ressentie y compris en pédiatrie. Ils apportent ainsi un éclairage permettant aux professionnels de santé de mieux comprendre le patient dans toutes ses dimensions.