Pourquoi mener une démarche d’évaluation d’impact social ? Témoignage de Lavinia Ruscigni du Mouvement du Nid
La délégation Martinique de l’association Mouvement du Nid mène un programme d’accompagnement en santé, baptisé Impact , à destination des femmes et filles victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle. De juillet 2021 à septembre 2023, elle a bénéficié d’une étude d’évaluation d’impact social, financée par la Fondation nehs et réalisée par l’agence Phare. Lavinia Ruscigni, Déléguée du Mouvement du Nid en Martinique, témoigne des apports de la démarche.
Comment s’est mise en œuvre cette démarche d’évaluation d’impact social ?
La Fondation nehs, qui soutient le projet Impact, nous a appelées pour nous proposer d’être accompagnées par l’agence Phare pour notre évaluation d’impact social, aux frais de la Fondation. Précision importante : cela incluait le déplacement en Martinique de deux personnes de chez Phare, pour une semaine .
Cette proposition était une grande chance pour nous. De façon générale, la démarche d’évaluation nous intéresse et nous sommes convaincues de son utilité. D’autant plus que nous visons des changements systémiques à moyen et long terme. Nous avons notamment besoin d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs et nous en avions d’ailleurs déjà identifié certains. Mais nous n’aurions pas eu les moyens de mener cette démarche de cette façon, avec cet accompagnement professionnel, qui représente une dépense assez importante. C’était une occasion rare et nous l’avons saisie.
C’est un outil très pertinent qui nous a permis d’identifier des éléments que nous n’avions pas envisagés pour le suivi du projet ainsi que des axes d’amélioration.
Concrètement, comment s’est déroulée l’évaluation ?
L’équipe de la Fondation nous a mises en relation avec Phare. Ils ont commencé par vérifier avec nous qu’ils avaient bien compris notre projet et nous leur avons exposé le contexte local ainsi que nos difficultés, liées notamment au Covid. Puis nous avons validé ensemble le périmètre de l’étude, organisé des rendez-vous et entretiens en distanciel ainsi que la venue en Martinique des deux chargés d’études.
Concrètement, une dizaine d’entretiens ont été réalisés à distance avec des professionnels et institutionnels partenaires du Mouvement du Nid. Puis, sur place, les chargés d’études ont assisté à des consultations individuelles de femmes avec une gynécologue ainsi qu’à un atelier collectif sur la santé, organisé dans nos locaux. Et parallèlement ils ont mené une quinzaine d’entretiens semi-directifs avec des femmes que nous accompagnons. Tous deux parlaient espagnol ce qui était très important pour nous car beaucoup de femmes que nous suivons sont hispanophones, venues notamment du Venezuela ou de République Dominicaine.
Leur présence sur place et leur maîtrise de cette langue étaient deux ingrédients essentiels. Même si une semaine passe vite, nous avons pu leur transmettre notre réalité et, par ailleurs, ils ont pu mener les entretiens sans déperdition d’information.
Que vous a appris le rapport d’évaluation d’impact social délivré par Phare ?
Phare a finalisé son analyse en septembre 2022 et nous a délivré un rapport d’évaluation d’impact social ainsi que sa synthèse. C’est un outil très pertinent qui nous a permis d’identifier des éléments que nous n’avions pas envisagés pour le suivi du projet ainsi que des axes d’amélioration. Ils ont compris notre offre globale d’accompagnement et l’ont évaluée comme telle. Leur analyse corrobore ce que l’on imaginait tout en allant plus loin.
Pour commencer, elle confirme que les femmes que nous accueillons se sentent respectées, en confiance, dans un espace sécurisé et sécurisant, ce qui est bien sûr essentiel.
Ensuite, l’évaluation a permis par exemple de mettre en évidence de nouvelles pistes d’actions sur la question de la santé mentale. Il faut savoir que nos bénéficiaires ont subi ou subissent des violences, que beaucoup sont dans des situations post-traumatiques, que certaines dissimulent leurs troubles psychiques… C’est donc un sujet très important pour nous.
Le rapport souligne par ailleurs les difficultés rencontrées dans l’accès à la santé, sujet central de notre action, et met en lumière le besoin de renforcer nos actions “d’aller-vers” dans notre démarche de médiation en santé.
Autre exemple de point à renforcer : notre rôle de prévention et d’information sur les questions de planification familiale. Nous devons y travailler pour que ces femmes soient encore mieux informées sur la santé sexuelle et reproductive, qu’elles connaissent leurs droits et sachent à quoi elles ont accès, notamment pour le suivi de grossesse.
Globalement, nous n’avons pas eu de surprises en lisant le rapport d’évaluation mais des confirmations importantes, qui permettent de prioriser. Nous sommes en réflexion pour 2024 et les préconisations de Phare sont pertinentes et nous sont particulièrement utiles.
Au-delà de votre propre réflexion sur vos actions, que vous a apporté cette évaluation d’impact social ?
Pour commencer, le fait que le projet soit soutenu par la Fondation nehs nous a permis de débloquer, dès l’année qui a suivi le début de ce soutien, une convention pluriannuelle avec l’ARS. Nous ne l’aurions pas obtenue autrement. La situation des femmes que nous soutenons et le sujet de la prostitution peuvent générer des réticences et nous sommes connus pour notre militantisme. Le soutien de la Fondation mais aussi d’autres mécènes a contribué à valoriser et crédibiliser notre action auprès de l’ARS et des autorités publiques en général.
Ce rapport d’évaluation d’impact vient appuyer encore plus notre position. Nous sommes une structure associative, certes, mais nous sommes formées, nous faisons du monitoring, nous avons des indicateurs de suivi, nous évaluons nos projets… S’il fallait encore le démontrer, le rapport d’évaluation d’impact atteste de tout cela et confirme le bien-fondé et le sérieux de notre action.
Consulter la synthèse du rapport d’évaluation d’impact du Mouvement du Nid Martinique.
Pourquoi nous soutenons ce projet ?
Ce projet de médiation en santé sur le territoire martiniquais est une réponse pragmatique aux besoins des femmes et filles victimes de la traite à des fins d’exploitation sexuelle. Il s’intéresse à la fois à leurs problématiques de santé spécifiques, leur situation administrative, économique… Cette prise en charge pluridisciplinaire, prenant en compte les divers facteurs de vulnérabilité qu’elles vivent au quotidien, fait toute la pertinence et de ce dispositif.