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“Pour un meilleur accès à la santé pour les femmes dont le français n’est pas la langue première”

L’association fable-Lab mène un projet de recherche-action sous le nom “Médiations Santé Femmes” afin de documenter le rôle joué par la langue dans les inégalités d’accès à la santé pour les femmes dont le français n’est pas la langue première et de travailler sur des outils de médiation linguistique. Pour ensuite diffuser les résultats de la recherche et promouvoir les solutions. Interview croisée de Léa Oriol, co-fondatrice de l’association fable-Lab et Mounia El Kotni, anthropologue spécialiste des inégalités sociales de santé et des discriminations sexistes.

Comment est né le projet de recherche-action “Médiations Santé Femmes” ?

Léa Oriol : Notre association fable-Lab a deux grands champs d’action : la médiation littéraire et la médiation linguistique. Nous agissons notamment pour l’accès aux droits et aux différents aspects de la vie quotidienne par le prisme de la langue. C’est dans ce cadre que nous avons imaginé le projet “Médiation(S)anté des Femmes”, pour contribuer à améliorer la santé des femmes dont le français n’est pas la langue première.

En 2021, nous avons mené un projet participatif avec la Maison de la Santé de Saint-Denis (93) pour créer un imagier* regroupant 100 mots sur la thématique de la santé des femmes. En créant cet outil de médiation linguistique, les difficultés soulevées par de nombreux témoignages nous ont poussés à aller plus loin.

Portrait de Léa Oriol, co-fondatrice de l'association Fable-Lab
Léa Oriol, co-fondatrice de l'association Fable-Lab

Nous avons donc décidé de lancer ce projet de recherche-action pour répondre à trois objectifs : documenter le rôle joué par la langue dans les inégalités sociales de santé ; améliorer l’accès aux outils de médiation linguistique existants, à la fois pour les soignants et les patientes ; diffuser à la fois les résultats de la recherche et les outils.

 

Mounia El Kotni : De mon côté, je connaissais l’équipe de fable-Lab car nous avions déjà travaillé ensemble. Je suis chercheuse mais aussi consultante et formatrice auprès des personnels de santé. Dans ce cadre, je mettais en avant l’imagier comme l’un des outils possibles pour contourner la barrière de la langue avec les patientes.

Mais je constatais également le manque d’outils : l’imagier n’était pas suffisant et il fallait creuser cette thématique, en particulier autour de la santé des femmes.

Dans le domaine des sciences sociales, il y a beaucoup de littérature sur la langue, sur la santé, le rôle de la langue et celui des traducteurs dans la prise en charge des traumatismes, de la santé mentale… mais sur la santé des femmes en particulier, il y a peu de ressources. C’est en partant de nos constats parallèles que nous avons pris la décision avec fable-Lab de mener ensemble cette recherche-action pour renforcer la connaissance dans ce domaine, en partageant à la fois les résultats de nos recherches et les outils qui seront créés.

Comme son nom l’indique, la recherche-action s’appuie ici à la fois sur un travail de recherche pour voir comment la langue est un facteur d’inégalité sociale et à la fois un travail de terrain pour renforcer les outils existants permettant un meilleur accès à la santé pour les femmes dont le français n’est pas la langue première.

 

Pourquoi vous intéresser spécifiquement aux femmes dans la question du rôle joué par la langue dans les inégalités d’accès à la santé ?

Mounia El Kotni : La santé des femmes recouvre beaucoup d’aspects très spécifiques que ce soit par exemple en matière d’oncologie, de gynécologie, d’obstétrique, de maternité… Par ailleurs, les sujets d’intimité sont très peu et difficilement abordés par les femmes de façon générale et cette problématique est évidemment renforcée lorsque la patiente n’est pas francophone : aux tabous vient s’ajouter le frein de la langue dans le dialogue avec le ou la soignante. Et si en plus la patiente doit être accompagnée par une tierce personne en consultation pour traduire, cela peut freiner encore plus la parole.

Portrait de Mounia El Kotni, anthropologue spécialiste des inégalités sociales de santé et des discriminations sexistes.
Mounia El Kotni, anthropologue spécialiste des inégalités sociales de santé et des discriminations sexistes.

Il y a aussi la question du “prendre soin”. Les expériences des structures et personnes rencontrées soulignent par exemple qu’en cas de grossesse, les femmes en situation de précarité s’oublient encore plus car elles portent d’abord leur attention sur le bébé et l’environnement dans lequel il va naître, le logement… Leur propre santé passe souvent en dernier.

 

Léa Oriol : Nous le constatons également, les femmes en situation de précarité prennent moins soin d’elles et passent souvent après les enfants et maris en matière de santé

 

En quoi consiste concrètement cette recherche-action ?

Léa Oriol : Concernant le volet terrain, pour aller au-delà de l’imagier que nous avions créé, nous nous sommes demandé quels autres outils existants pouvaient fonctionner. Il n’y en a pas beaucoup mais nous en avons sélectionné quatre, qui sont gratuits : TraLELHo, Medipicto, Mediglotte et TraducMed**. Tous ont été créés par des soignants (infirmière, urgentiste, médecin généraliste) à destination des soignants, avec un vocabulaire spécifique. Nous avons contacté leurs concepteurs et conceptrices puis testé ces outils avec des femmes et des professionnels de santé au cours d’atelier d’appropriation critique. Nous avons fait ce choix car ces solutions utilisent un vocabulaire précis, contrairement par exemple aux solutions de traduction gratuites comme Google Translate qui peuvent mener à des quiproquos, sans parler des enjeux de protection des données… Nous avons donc choisi de partir de ces outils pour les adapter aux patientes, les tester avec elles, récolter leurs retours et les transmettre aux concepteurs. En plus de ce travail sur les outils eux-mêmes, nous avons décidé de créer des fiches pour que les personnes qui les utilisent – patientes comme soignants – puissent se les approprier.

À la fin du projet, notre but est de diffuser les résultats de la recherche mais aussi ces outils, car ils ne sont absolument pas connus, ni des professionnels de santé, ni des patients. Le but final étant bien sûr d’améliorer la communication soignants/patients.

Un atelier d'appropriation critique d'outils de communication entre équipes de soins et des femmes dont le français n’est pas la langue première.

Mounia El Kotni : Concernant la recherche, je travaille actuellement sur les comptes-rendus des ateliers d’appropriation critique, qui ont presque tous eu lieu. Je vais ensuite mener des entretiens avec des personnes des domaines du social et du médical, dans différents types de structures. Au cours de ces entretiens qualitatifs, je vais les interroger sur la question de la langue, les situations auxquelles elles sont confrontés, ce qui peut être mis en place, etc… Je vais également échanger avec les concepteurs et conceptrices des outils pour leur demander de me raconter leur histoire et celle derrière la création des outils. Enfin, côté patientes, je vais rencontrer des femmes, par l’intermédiaire d’associations partenaires qui les accompagnent, au cours d’entretiens individuels et de focus group, en présence de traducteurs ou traductrices. Tout le matériel réuni sera ensuite récolté par fable-Lab. Les études étant trop peu nombreuses, nous étudions également la problématique de l’identification des langues, pour savoir statistiquement lesquelles sont parlées par les femmes dont le français n’est pas la langue première. Enfin, nous menons également une étude quantitative en Haute-Loire et en Ile-de-France : des questionnaires sont envoyés à des professionnels de santé pour les questionner sur leur expérience en la matière, les outils qu’elles et ils connaissent, etc… Quand nous aurons déployé les outils, nous pourrons mener une nouvelle enquête pour savoir s’ils sont mieux connus.

Les sujets d’intimité sont très peu et difficilement abordés par les femmes de façon générale et cette problématique est évidemment renforcée lorsque la patiente n’est pas francophone : aux tabous vient s’ajouter le frein de la langue dans le dialogue avec le soignant

Mounia El Kotni Anthropologue spécialiste des inégalités sociales de santé et des discriminations sexistes.

Quelle est la finalité de la recherche-action ?

Léa Oriol : Ce projet est une amorce : en menant les entretiens et en étudiant la littérature, nous allons peut-être poser plus de questions que trouver de réponses. Mais ce qui est intéressant, c’est que l’on va pouvoir interroger les femmes directement, grâce à l’interprétariat, ce qui est très précieux. Ce volet de recherche est primordial car il y a un travail de fond à faire auprès des professionnels de santé. La démarche scientifique est très importante pour toucher le plus grand nombre de professionnels : montrer de façon objectivée les réalités de la problématique permet de les convaincre de la pertinence des outils de médiation linguistique, même si ceux avec lesquels nous sommes en contact sont déjà convaincus et sont ravis de voir notre projet avancer.

 

Mounia El Kotni : La méthode de la recherche-action est vraiment vertueuse : les ateliers menés par l’association sont analysés, ils permettent de créer les grilles d’entretiens puis les résultats des entretiens sont repartagés avec l’association pour améliorer les outils et développer de nouvelles actions.

* Imagier Sen-Mo Santé des femmes

** Site internet TraLELHo – Application mobile Medipicto (APHP) – Application mobile Mediglotte – Outil web et mobile TraducMed

Pourquoi nous soutenons ce projet ?

L’association fable-Lab étudie les difficultés d’accès à la santé liées aux freins linguistiques pour les femmes dont le français n’est pas la langue première afin de faire émerger des solutions concrètes et applicables. Pour cela, elle se base sur les réalités de terrain dans le cadre d’un processus collaboratif incluant à la fois les femmes concernées et les professionnels de santé.

Alors que les études manquent sur ce sujet, les résultats de sa recherche-action pourront ainsi alimenter les politiques publiques de santé et permettre d’améliorer les pratiques des professionnels de santé.

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