La médiation en santé à l’hôpital : pour qui, avec qui, et comment ?
Le 27 novembre dernier, la Fondation MNH a organisé, en collaboration avec l'Hôpital Bichat - Claude-Bernard, un événement autour de la place de la médiation en santé à l'hôpital. Grégory Vial, directeur des hôpitaux Bichat - Claude-Bernard et Beaujon, ainsi que Marie-Cécile Poncet, directrice de l’hôpital Avicenne et adjointe à la directrice du GHU Paris Seine-Saint-Denis, reviennent sur les grands enjeux abordés lors de l'événement à l’occasion d’une interview croisée.
Comment percevez-vous le rôle de la médiation en santé ?
Marie-Cécile Poncet : Le rôle de la médiation en santé est d’éviter que les patients ne soient isolés du système de santé en raison de freins culturels, de difficultés sociales, personnelles, financières… Les médiateurs en santé sont des relais au sein de l’hôpital mais aussi entre l’intra-hospitalier et l’extra-hospitalier. Ils accompagnent les patients pour qu’ils puissent accéder à une prise en charge continue et, à terme, à une autonomie hors de l’hôpital. Cette double vision des deux systèmes – dans et hors de l’hôpital – leur permet de faire circuler l’information et d’aider les patients à naviguer dans un univers complexe. Il peut s’agir, par exemple, de commencer par trouver un médecin traitant. C’est d’autant plus important que, depuis le Covid, on voit arriver des personnes souffrant de pathologies qu’on ne voyait plus ou à un stade de gravité qu’on ne voyait plus. Et ceci est évidemment encore plus vrai pour les personnes les plus vulnérables. Elles retardent ou mettent de côté la prise en charge de leur propre santé.
Grégory Vial : En cela, la médiation en santé est une fonction auxiliaire aux soins, qui les rend possibles et leur donne leur pleine effectivité pour les populations distantes du système de santé. Cet auxiliaire permet la mise en place d’une stratégie thérapeutique offrant les mêmes chances à tous. Pour le personnel hospitalier, les personnes éloignées du soin peuvent avoir des comportements déroutants : certaines viennent à l’hôpital de manière désordonnée, d’autres arrivent en effet très tard par rapport à l’évolution de leur maladie. Avoir ce complément de liaison permet d’améliorer le parcours du patient.
Qu’apporte la médiation en santé aux soignants et en particulier aux hospitaliers ?
Grégory Vial : Un gain de temps mais aussi une meilleure satisfaction au travail, le sentiment que la mission est pleinement remplie. En effet, lorsque les patients ne suivent pas leurs traitements ou ne se rendent pas aux rendez-vous de suivi en raison de freins extérieurs aux problématiques médicales – par ailleurs justifiés – cela peut être une grande source de frustration pour les soignants. La médiation en santé permet de lever ces freins et de garantir une meilleure observance des traitements, ce qui libère du temps pour les soignants, leur apporte une tranquillité d’esprit et leur permet de se concentrer sur leur mission première.
Il faut communiquer davantage, faire connaître la mission de la médiation en santé et sa complémentarité avec les autres métiers. Il faut permettre à chaque professionnel de comprendre qu’in fine, c’est une valeur ajoutée pour les patients comme pour les soignants.
Marie-Cécile Poncet : Pourtant, l’introduction de la médiation en santé à l’hôpital n’est pas toujours bien perçue au premier abord. Les soignants peuvent se sentir dépossédés d’une partie de leur rôle, davantage qu’avec les assistantes sociales qui sont perçues comme complémentaires. Alors qu’au contraire, les profils et les différences de missions et de formations entre médiatrices et assistantes sociales apportent un réel bénéfice pour les patients comme pour les soignants. Il existe d’ailleurs des binômes assistante sociale/médiatrice qui fonctionnent très bien. Même si, dans d’autres secteurs, ces professionnelles ne se connaissent pas et donc ne se parlent pas.
Vous avez tous deux participé, aux côtés d’autres experts, aux tables-rondes de l’événement sur la médiation en santé à l’Hôpital Bichat*, qu’ont apporté ces échanges au regard que vous portez sur la médiation ?
Grégory Vial : Ils ont mis en lumière un besoin de clarification quant à l’implantation du métier de médiateur en santé. Pour moi, il est important de se concentrer d’abord sur la finalité – qui est de résoudre les problématiques qui freinent l’accès aux soins, telles que la précarité – puis de déterminer si “l’outil” médiation en santé apporte des solutions et enfin où il doit être mis en œuvre pour être efficace. L’hôpital a un rôle à jouer, mais il ne doit pas forcément toujours être le porteur de cet outil. Par exemple, les questions de droits, de logement, d’école… ne sont pas de son ressort. Il faut donc réfléchir, avec les structures de la ville, à l’articulation et au positionnement des médiateurs et médiatrices en santé. J’ai également perçu un grand besoin de lisibilité des fonctions de chacun.
Marie-Cécile Poncet : Ces échanges lors de l’événement organisé par la Fondation MNH m’ont également confortée dans l’idée que la médiation en santé est encore trop méconnue. Je suis d’accord avec Grégory sur le fait qu’elle ne doit pas nécessairement être implantée à l’hôpital mais lorsque c’est le cas parce qu’elle y est utile, un portage par la direction est indispensable pour que cela avance. Il faut communiquer davantage, faire connaître la mission de la médiation en santé et sa complémentarité avec les autres métiers. Il faut permettre à chaque professionnel de comprendre qu’in fine, c’est une valeur ajoutée pour les patients comme pour les soignants. Concrètement, il s’agit d’initier une dynamique de rencontres, de partages et d’élaboration de processus où chacun a sa place et contribue au parcours patient. Il faut insister sur la complémentarité et faire disparaître le sentiment de dépossession en structurant les choses et en rendant tout cela visible de tous. Et donc, en tant que directrice d’hôpital, je vais travailler avec les professionnels pour aboutir à un véritable collectif qui œuvre dans un même but.
La médiation en santé permet de lever ces freins et de garantir une meilleure observance des traitements, ce qui libère du temps pour les soignants, leur apporte une tranquillité d’esprit et leur permet de se concentrer sur leur mission première.
Concrètement, d’après-vous, comment la médiation en santé peut-elle s’inscrire à l’hôpital et dans le système de santé en général ? Et par où commencer ?
Grégory Vial : Le sujet est de savoir où positionner cet outil qu’est la médiation en santé et comment faire pour que tous les acteurs le connaissent. Cet outil doit être mobile et répondre à des besoins spécifiques et de proximité. Ensuite, peu importe que ce soit l’hôpital qui porte le métier, l’important est que la médiation en santé vienne à l’hôpital pour accompagner les patients. L’État accompagne la création des Communautés Professionnelles Territoriales de Santé, ou CPTS**, avec des points d’ancrage locaux cohérents. Ces CPTS, proches du terrain, pourraient être un échelon pertinent.
Au sein de l’hôpital, les médiateurs sont connus et reconnus dans des services ciblés, comme les maladies infectieuses, où leur rôle a émergé historiquement et s’est particulièrement distingué. Ces services ont fait la “preuve de concept”. Pour aller au-delà, il faut d’abord identifier les besoins ailleurs puis tester le dispositif là où ils se trouvent. C’est-à-dire regarder où l’on a des patients qui présentent les mêmes problématiques de désarrimage du système de santé et où les problèmes socio-économiques prennent le pas sur la santé. Ce n’est pas si simple à identifier, il faut analyser nos bases de données puis regarder comment on répond et comment on organise le métier. Si je prends l’exemple de la diabétologie : est-ce que le besoin existe pour un nombre de patients qui justifie un poste à temps plein, ou est-ce que le poste de médiateur ne devrait pas être en liaison avec plusieurs services ?
Et puis il faut aussi penser le lien avec la ville, sans pour autant avoir un système à tiroir où se sédimentent des couches séparées.
Marie-Cécile Poncet : Si je prends l’exemple de l’hôpital Avicenne, actuellement, les médiatrices en santé sont rattachées à la Direction des Soins et des Activités Paramédicales. Or on pourrait envisager de les rattacher à la même direction que les assistantes sociales. Un rattachement à un service transverse est intéressant, car il est vrai que les besoins pour les patients dans chaque spécialité ne justifient pas un temps plein partout. Sur l’extra hospitalier, les médiatrices rattachées à des CPTS n’ont pas de lien hiérarchique avec l’hôpital et agissent sur un territoire donné, ce qui est évidemment nécessaire aussi. Que ce soit dans ou hors de l’hôpital, il faut réfléchir en termes de transversalité plutôt que de cantonner la médiation en santé à un domaine, un service. J’en reviens donc au dialogue entre les différents corps de métiers. Permettre une prise en charge optimale, que ce soit à l’hôpital ou hors les murs, est notre objectif commun à tous. Nous devons pour cela nous coordonner – et identifier les potentiels frottements dans les missions de chacun pour ajuster – car la connexion entre les différents acteurs ne peut qu’être bénéfique à la fois pour les patients et les soignants. Chaque métier est complémentaire, il faut orchestrer cette complémentarité avec tout le monde et faire tomber les réticences.
*L’événement “Comment l’hôpital va vers les plus éloignés du soin ? – Impact et avenir de la médiation en santé à l’hôpital”
Organisé par la Fondation MNH en collaboration avec l’Hôpital Bichat – Claude-Bernard, l’événement s’est déroulé le 27 novembre 2024 à l’UFR Xavier Bichat.
Il a permis de réunir des acteurs de la santé et des experts de la médiation en santé pour échanger sur sa raison d’être, sa place actuelle et future à l’hôpital ainsi que son impact sur les professionnels de santé. Cette rencontre a également été l’occasion de saluer le travail des deux lauréats du prix 2024 de la Fondation MNH et leur engagement exemplaire pour lever les obstacles que rencontrent les plus vulnérables dans l’accès à la santé.
En savoir plus sur les intervenants et les tables rondes.