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“Notre travail sur les coûts de la mauvaise santé des professionnels de santé doit contribuer à un débat plus général sur la transformation du système de santé”

Mené par l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), le projet de recherche VALORIS doit permettre de déterminer les coûts directs et indirects, pour les établissements de santé et médico-sociaux, liés à la mauvaise santé de leur personnel. L’étude, basée notamment sur une enquête auprès des cadres de santé, doit fournir des clés de décision aux établissements et les pousser à agir pour la santé de leurs professionnels.

Nicolas Sirven, Professeur des Universités en sciences économiques à l’EHESP et Emilie Chen, ingénieure d’étude à l’EHESP en charge du suivi du projet, nous expliquent pourquoi il est nécessaire d’aborder la question de la santé des professionnels de santé sous l’angle économique.

Pourquoi vous a-t-il paru nécessaire de lancer l’étude VALORIS, quels sont ses objectifs ?

Emilie Chen : Les conditions de travail des professionnels des établissements de santé et médico-sociaux ont un impact sur leur santé physique et mentale, c’est aujourd’hui un fait établi. Les facteurs sont nombreux : horaires de travail longs et irréguliers, situations de stress, risques professionnels liés à l’exposition à certains produits, manque de personnel…

Dans ce contexte, le projet part d’un postulat fait par les économistes : mettre en place des programmes de prévention pour améliorer la santé des soignants pourrait être moins coûteux que de ne rien faire et de voir leur état se dégrader. VALORIS est un projet de recherche qui consiste à évaluer non seulement les coûts de l’absentéisme pour raisons de santé mais aussi les coûts du présentéisme qui désigne les situations où des professionnels sont présents sur leur lieu de travail et remplissent leur rôle mais avec un état de santé dégradé qui nécessiterait qu’ils restent chez eux ou suivent des soins.

Emilie Chen, ingénieur d'étude à l'EHESP

Nicolas Sirven : Le but est donc de mesurer les coûts de l’inaction en matière de santé des soignants. Pourquoi c’est important ? Si on se met à la place d’un directeur d’hôpital, qui a des ressources contraintes, il s’agit de lui donner des clés pour décider en connaissance de cause de financer des projets de prévention en santé pour ses collaborateurs.
Le problème c’est que l’on constate que les coûts de l’absentéisme et du présentéisme sont en général sous estimés. C’est ce problème que le projet VALORIS doit résoudre.

Quelles sont les méthodes actuelles de calcul et pourquoi ces coûts sont-ils sous-estimés ?

Emilie Chen : Les conditions de travail des professionnels des établissements de santé et médico-sociaux ont un impact sur leur santé physique et mentale, c’est aujourd’hui un fait établi. Les facteurs sont nombreux : horaires de travail longs et irréguliers, situations de stress, risques professionnels liés à l’exposition à certains produits, manque de personnel…

Dans ce contexte, le projet part d’un postulat fait par les économistes : mettre en place des programmes de prévention pour améliorer la santé des soignants pourrait être moins coûteux que de ne rien faire et de voir leur état se dégrader. VALORIS est un projet de recherche qui consiste à évaluer non seulement les coûts de l’absentéisme pour raisons de santé mais aussi les coûts du présentéisme qui désigne les situations où des professionnels sont présents sur leur lieu de travail et remplissent leur rôle mais avec un état de santé dégradé qui nécessiterait qu’ils restent chez eux ou suivent des soins.

Nicolas Sirven : C’est cette contribution à la littérature académique que l’on veut apporter avec le projet VALORIS. Concrètement, nous allons mesurer et croiser les coûts de l’absentéisme, du présentéisme et de la perte de qualité.

Notre hypothèse est que cela va faire grimper l’impact financier du “laissez-faire” et faire baisser le coût relatif de la prévention. En d’autres termes, si nos résultats confortent cette hypothèse, alors nous aurons des données objectives pour démontrer que la prévention est rentable.

C’est particulièrement important parce que le secteur hospitalier va mal. Notre travail sur les coûts de la mauvaise santé des professionnels de santé doit contribuer à un débat plus général sur la transformation du système. Les causes du problème restent quand même les conditions de travail et la réponse ne peut pas passer uniquement par la prévention. Est-ce qu’on ne peut pas envisager des réponses plus profondes ? Notre rôle est aussi de faire remonter cette question.

Nicolas Sirven lors du colloque organisé par la DREES et la Fondation MNH, mars 2024

Quelles sont concrètement les différentes étapes de votre travail de recherche ?

Emilie Chen : La première étape a été de chercher la littérature s’intéressant à ces questions et de rassembler les données existantes et les méthodes de calcul des coûts… J’ai fait ce travail dans le cadre d’un mémoire que j’ai soutenu à l’Université de Créteil en Master 2.

Puis nous avons conçu un questionnaire destiné aux cadres des établissements de santé et du secteur sanitaire et social, publics et privés. Pour cela, nous nous sommes basés sur un questionnaire validé dans le cadre de l’étude suédoise Strömberg et al. (2017), que nous avons adapté au système français – notamment en faisant le lien avec les bases de données du Système National des Données de Santé (SNDS) pour certains items. Nous y avons également ajouté des questions sur la qualité du travail des équipes soignantes.

Nous avons ensuite testé ce questionnaire auprès d’un premier panel avant de le lancer à plus grande échelle début 2025. Les premiers résultats de cette enquête seront présentés aux financeurs du projet – à savoir le ministère de la Santé, la Fondation MNH et l’EHESP – et un rapport sera diffusé avant l’été. Nous soumettrons ensuite un article scientifique en septembre à une revue à comité de lecture pour valider nos travaux scientifiques et contribuer à la littérature internationale.

Je souhaite que ces données que nous allons produire permettent de diffuser l’idée que l’absentéisme n’est pas qu’un problème de volume de production, que les causes profondes résident dans les conditions de travail et qu’au-delà de la prévention, il faut engager une réflexion plus profonde sur nos organisations.

Nicolas Sirven, professeur en sciences économiques à l'EHESP, coordinateur du projet Valoris

Comment allez-vous utiliser la connaissance produite et qu’attendez-vous des décideurs une fois votre travail terminé ?

Nicolas Sirven : Mon rêve d’économiste c’est que des décisions soient prises à l’hôpital de façon rationnelle et non pas émotionnelle. Pour cela, notre rôle est de fournir des informations correctes sur les coûts liés à la mauvaise santé des soignants en regard des gains des programmes de prévention et de promotion de la santé.

De manière concrète, l’étude va nous permettre d’établir et de mettre à disposition des directions d’établissements des coefficients multiplicateurs pour évaluer les coûts de l’absentéisme et du présentéisme en proportion de la masse salariale. Ces coefficients faciles d’usage doivent les inciter et les aider à prendre des mesures pour agir pour la santé de leurs équipes.

Ensuite, je souhaite que ces données que nous allons produire permettent de diffuser l’idée que l’absentéisme n’est pas qu’un problème de volume de production, que les causes profondes résident dans les conditions de travail et qu’au-delà de la prévention, il faut engager une réflexion plus profonde sur nos organisations.

Nous voulons démontrer que prendre soin des soignants c’est rentable, que mettre des moyens pour la santé des soignants n’est pas de l’argent perdu. Car fondamentalement, avoir des personnels en mauvaise santé coûte très cher et il est grand temps de prendre soin du capital humain de notre système de santé.

Vous êtes responsables d’équipe, directeurs des ressources humaines, directeurs des soins, cadres de proximité, cadres de santé, médecins managers…participez au questionnaire national en cliquant ici.

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