L’état des lieux de la recherche sur la santé des soignants en France révèle d’importantes lacunes.
Dans son étude soutenue par notre Fondation, Quentin Gicquel Ibeka, en formation à l’EHESP, met en lumière le faible nombre et le manque de diversité des travaux de recherche sur la santé des soignants. Il pointe aussi l’invisibilisation d’une grande partie des professionnels. Ce défaut de connaissance empêche de mener à bien des actions ciblées, et d’améliorer la santé de ceux qui soignent. Ce qui relève pourtant d’un sujet de santé publique.

Quel est le volume des travaux de recherche portant sur la santé des soignants en France ? Quels sont les acteurs les plus dynamiques ? Quelles catégories de professionnels sont observées ? Quelles problématiques de santé sont investiguées ? Le mémoire de Quentin Gicquel Ibeka apporte un éclairage riche d’enseignements sur ces questions essentielles pour mesurer l’état de la recherche concernant la santé des soignants et identifier les manquements. Il a mené cette étude dans le cadre de l’année de surspécialisation en Administration de la santé et en politique de santé qu’il a suivie à l’EHESP en 2023-2024. Il est actuellement interne en santé publique, en milieu de 4e année.
Un faible volume de données
« Les soignants sont exposés à la violence, aux pathologies transmissibles, certains exercent de nuit, bon nombre réalisent des tâches répétitives. Tous ces facteurs réunis les fragilisent plus que d’autres professions. Et leur état de santé impacte la société entière puisque si les soignants vont mal, ils ne peuvent pas soigner la population », entame Quentin Gicquel Ibeka. Or, le manque de données existantes sur la santé des professionnels de santé s’impose.
Pour preuve, sur les 500 articles scannés, seulement 75 ont été sélectionnés sur leur titre, et 45 retenus. Les études incluses devaient avoir été publiées entre 2000 et 2024, porter spécifiquement sur les professionnels de santé en France, et traiter des aspects de la santé mentale, physique, et des comportements de santé des professionnels de santé. « Ce travail de recherche vient étayer le fait que les données concernant la santé des soignants sont insuffisantes et parcellaires. Aujourd’hui, si les professionnels de santé ne vont pas bien, cela reste difficile à démontrer de manière objectivée. Et cela nourrit la méconnaissance des problématiques particulières qui les touchent », explique Quentin Gicquel Ibeka.

Des sujets dominants…
Parmi les sujets traités, la santé mentale occupe une large première place, avec 27 des 45 articles analysés, soit 60 %. « Cela a singulièrement émergé depuis 2019, ce qui pourrait laisser penser que cela devient moins tabou », avance Quentin Gicquel Ibeka. En deuxième position, huit articles (18 %) portent sur les addictions, dont cinq se focalisent spécifiquement sur les soignants travaillant dans les services d’anesthésie-réanimation. À l’inverse, un seul article (2,25 %) se concentre sur les cancers professionnels dans le milieu hospitalier. « Au total, près de 80 % des recherches traitent du burnout et des addictions. Cela met en évidence que beaucoup de sujets demeurent totalement inexplorés, comme les risques accrus de complication durant la grossesse ou de développer un cancer du sein, ou encore le taux de vaccination très bas au sein de certaines populations », ajoute-t-il.
… Et des professions invisibilisées
L’état des lieux dressé par Quentin Gicquel révèle aussi qu’une large part des articles (29 sur 45) s’intéresse à la santé des professionnels de santé de manière générale, sans faire de distinction précise entre les professions. Parmi les seize articles restants, douze traitent spécifiquement sur la santé des médecins, deux sur celle des infirmières et infirmiers, un sur les pharmaciens, un sur les masseurs-kinésithérapeutes, et un sur les aides-soignants. Par ailleurs, la grande majorité des études observe les professionnels hospitaliers. « Aucune n’aborde la santé mentale des personnels paramédicaux, qui constituent pourtant 80 % des professionnels de santé », souligne Quentin Gicquel Ibeka. Autre point saillant de l’étude menée : la sous-représentation des libéraux, notamment des masseurs-kinésithérapeutes. « Leur éloignement des instituts qui font de la recherche les rend moins accessibles. Ce manque d’études peut compliquer la détection des problématiques de santé chez les soignants exerçant seuls ou en dehors des grandes structures de soin », poursuit-il.
Des acteurs de recherche diversifiés
Quentin Gicquel Ibeka a également caractérisé les acteurs de la recherche, les professions et thématiques de santé étudiées, et leurs lieux d’exercice, dont il ressort une cartographie détaillée des régions et établissements les plus actifs sur le sujet. « Donner à voir qui travaille sur quelle question facilite la circulation de l’information et l’essaimage des bonnes pratiques », ajoute Quentin Gicquel Ibeka. Les 74 intervenants identifiés se concentrent autour de pôles universitaires et hospitaliers majeurs, à Paris, Grenoble et Tours notamment. Parmi eux, 23 ne sont pas issus du monde médical, mais des sciences sociales, de la sociologie ou de la psychologie. « Cela ouvre le champ des professionnels avec lesquels collaborer sur ces sujets », conclut-il.

Pour consulter la cartographie et l’intégralité des enseignements de l’étude : cliquez ici.
Pourquoi nous soutenons ce projet ?
- Un travail de recherche qui met en évidence le manque d’études sur la santé des soignants, alors que les problématiques auxquelles ils sont confrontés sont spécifiques et multiples
- La nécessité d’objectiver les sujets de recherche aujourd’hui incontournables pour hiérarchiser et prioriser les actions de prise en charge et de prévention les plus impactantes
- Le besoin de soutenir les professionnels de santé alors que leurs conditions d’exercice ne cessent de se dégrader, parce qu’un soignant qui va mal soigne moins bien. Ce qui en fait un sujet de santé publique.