Relever les défis de l’accès à la santé en Guyane : 3 acteurs de la médiation en santé témoignent
Les pratiques de médiation en santé sont particulièrement développées en Guyane française car les obstacles à lever dans l’accès à la santé y sont nombreux. Avec les dispositifs d’aller-vers, de faire avec, mais aussi de création de lien entre les différents acteurs du territoire, la médiation en santé est devenue indispensable pour une partie de la population et des professionnels de santé. Elle y est d’ailleurs portée à la fois par le monde associatif, les services hospitaliers, les institutions de santé, et largement soutenue par l’ARS. La Croix Rouge française, une équipe du Centre hospitalier de Cayenne et Médecins du Monde témoignent.
Précarité socio-économique, administrative, barrière de la langue, problématiques de littératie en santé, complexité à naviguer dans le système de santé français, conditions de vie dans les quartiers d’habitat informel, enclavement géographique… Face aux défis engendrés par les spécificités du territoire guyanais*, la médiation en santé s’avère être une modalité d’intervention précieuse.
Trouver des solutions aux problématiques d’habitat insalubre et d’accès à l’eau potable
En Guyane, il existe 63 sites officiellement recensés d’habitat dit “informels” ou “spontanés”, dont 55 sur le littoral. Plus de 23 000 personnes y vivraient, un chiffre sous-estimé d’après La Croix-Rouge française. Ces bidonvilles n’ont pas de réseaux d’assainissement, un accès à l’eau potable insuffisant voire inexistant, pas ou très peu de système de collecte des déchets… Pour les habitants, à la précarité socio-économique et administrative s’ajoutent des risques importants d’exposition aux maladies à transmission hydrique, vectorielle ou zoonotique**, un accès difficile à l’hygiène et à la prévention, et des recours aux soins limités. Cette situation est à l’origine du programme de médiation en santé Équipe Mobile Santé Environnement, ou EMSE, créé par la Croix Rouge française. Concrètement, cette équipe intervient auprès des habitants de ces quartiers pour réduire les risques sanitaires liés aux problématiques d’accès à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement. Elle organise des maraudes en porte à porte, des animations collectives au sein des quartiers, accompagne la création de comités de quartier et la réalisation d’actions collectives par et pour les habitants… Avec un objectif : favoriser l’autonomisation de ces populations et leur capacité d’agir sur leur santé et leur environnement.
Pour évaluer l’efficacité du programme EMSE, la Croix-Rouge française a également lancé une recherche-action, soutenue par la Fondation MNH, basée sur des enquêtes “Connaissances, Attitudes et Pratiques” réalisées avant et après avoir mené ses actions de terrain. La première enquête a révélé que la moitié des personnes interrogées consommait de l’eau de puits artisanaux ou de l’eau de pluie. Sachant que beaucoup la consomment telle quelle ou la traitent mais sans la désinfecter, en bout de chaîne seulement 5 % de ces personnes consomment une eau sans risque pour la santé.
Des données précieuses pour Margot Oberlis, responsable de l’Équipe Mobile Santé Environnement et de l’Équipe Mobile d’Intervention Paludisme Littoral à la direction territoriale de Guyane de la Croix Rouge : « Ces résultats révèlent l’importance de l’enjeu de mise en place de solutions de traitement de l’eau à l’échelle des foyers, en fonction de leurs connaissances et ressources. En l’absence de projets de viabilisation des quartiers informels, l’idée est surtout de pouvoir intervenir et transférer aux habitants les connaissances pour se prémunir au mieux des maladies liées à l’eau, l’hygiène et l’assainissement, dans une logique de réduction des risques. Les données collectées nous permettent par ailleurs non seulement d’évaluer l’impact de ces actions de médiation en santé sur la prévention de ces maladies et d’adapter nos interventions en fonction des résultats, mais aussi de restituer nos observations auprès de différents acteurs et décideurs concernés. C’est un formidable outil d’information et de plaidoyer auprès des habitants des quartiers d’intervention, des élus des communes concernées, de l’ARS, de l’Office de l’eau, de la Préfecture… L’ARS nous a d’ailleurs beaucoup accompagnés, notamment en nous aidant à mobiliser d’autres acteurs. Au final, cela a permis concrètement d’initier des pistes d’intervention très intéressantes pour le Plan régional santé environnement 2024-2028 de l’ARS qui comporte une fiche action dédiée à l’accès à l’eau potable. »
Pour Margot Oberlis, les pratiques de médiation en santé sont par ailleurs de plus en plus assimilées par les structures de santé : “la médiation est de plus en plus déployée à l’hôpital, en lien avec les équipes soignantes. Les médiateurs ont un rôle-clé au sein des services hospitaliers et hors les murs. C’est le cas au Centre hospitalier de Cayenne.”
Rompre l’isolement des territoires enclavés dans l’accès à la santé
Au-delà des quartiers d’habitat informel, la Guyane comporte une autre spécificité liée aux lieux de vie : l’isolement des communes de l’intérieur. Dans ces zones très enclavées, dont certaines ne sont accessibles que par voie fluviale ou aérienne, vivent une majorité de personnes françaises mais dont beaucoup n’ont pas de couverture sociale. S’inspirant d’une équipe créée pour agir contre le paludisme dans ces zones éloignées grâce au principe d’aller-vers, le Centre hospitalier de Cayenne a créé les Équipes Mobiles de Santé Publique en Commune (Emspec). Leur but : lutter contre les inégalités d’accès aux soins dans les communes de l’intérieur. Des binômes, composés chacun d’un médiateur/médiatrice en santé et d’un infirmier/infirmière, ont un rôle de gestion des épidémies, de promotion/prévention auprès des habitants et d’interface entre les soignants, l’administration et la population.
“Par exemple, si un centre de santé local constate une épidémie de diarrhées, il prévient l’Emspec qui va regarder s’il y a une problématique d’accès à l’eau et à l’hygiène. Elle pourra alors organiser des ateliers sur le lavage des mains, faire le lien avec la mairie ou l’ARS si elle constate un problème avec une pompe, etc.”, explique Bérangère Bonnot, infirmière coordinatrice Emspec. Les binômes interviennent par ailleurs sur des sujets de prévention auprès de la population générale mais aussi au sein des écoles, en l’absence d’infirmières scolaires dans de nombreuses communes. Leur action de proximité va plus loin : “Grâce aux binômes des Emspec, les informations sur les besoins identifiés localement à un instant T remontent. Ils font le lien entre les soignants et la population. C’est d’autant plus important qu’il y a beaucoup de turn over chez les soignants et une méconnaissance de ces territoires. Différentes cultures et langues y sont représentées, il y a des tradipraticiens dans les villages… Lorsque de nouveaux soignants sont affectés dans les centres de santé de proximité, on les rencontre pour leur parler des spécificités locales et ils entrent en contact avec les médiateurs et médiatrices”, ajoute Bérengère Bonnot.
Pour le docteur Brice Daverton, médecin hospitalier qui coordonne les EMSPEC, ce rôle d’interface est fondamental pour tous les acteurs de la santé : “la particularité de ce dispositif porté par le Centre hospitalier pour aider les Centres de santé est d’associer dans chaque binôme un médiateur qui a une connaissance fine du milieu et des cultures présentes localement et un professionnel de santé qui apporte ses compétences techniques. Les deux travaillent de concert et apportent de la fluidité en jouant un rôle d’interface avec notre hôpital, les différentes administrations, l’ARS, le rectorat…
Pour les soignants, les médiateurs et médiatrices sont fondamentaux car ils permettent de comprendre les attentes et besoins de la population locale, dans un contexte où beaucoup de professionnels de santé viennent d’autres territoires, notamment de métropole. On a parfois des idées préconçues sur comment transmettre un message aux patients et nos médiateurs savent mieux comment passer une information, notamment pour les messages de prévention. Et inversement, ils aident les habitants à mieux comprendre ce que les soignants vont leur apporter dans leur prise en charge. Nous avons vraiment besoin d’eux pour ne pas passer à côté de l’objectif.
Mettre la médecine de ville à la portée des personnes en situation de précarité vivant avec une maladie chronique
Dans l’agglomération de Cayenne, un autre enjeu fait l’objet de toute l’attention de Médecins du Monde : celui de la santé des personnes précarisées qui vivent avec une maladie chronique. Pour répondre à leurs besoins d’accès précoce à un parcours de santé de droit commun de proximité, ainsi qu’à un accompagnement vers l’autonomie dans ce parcours, l’association a créé la PASS de Ville – ou Permanence d’Accès aux Soins de Santé de ville.
Ce dispositif fait partie d’un programme plus vaste de réseaux de santé de proximité mené dans différents territoires, soutenu par la Fondation MNH. En Guyane, la majorité des personnes qui ont recours à la PASS de Ville sont exilées, en provenance d’Haïti, d’Amérique Latine, de Syrie ou encore d’Afghanistan, et la majorité d’entre elles vit sous le seuil de pauvreté. La PASS de Ville de Cayenne est complémentaire de la PASS hospitalière qui n’organise pas pour l’instant de visites à domicile et ne peut pas prendre en charge de patients chroniques ou ayant besoin de soins réguliers, la file active étant déjà surchargée.
Elle vise donc à orienter les patients vers les professionnels du secteur libéral pour une prise en charge de leurs maladies chroniques et à favoriser leur autonomie, tout en les accompagnant à l’ouverture rapide de droits à l’Assurance maladie (un partenariat est formalisé avec la Caisse Régionale de Sécurité Sociale qui offre un certain nombre de garanties dans le traitement des dossiers). Concrètement, chaque patient se voit remettre une carte PASS de ville lors de la permanence dédiée, qui lui permet de se présenter chez les professionnels du réseau. La personne bénéficie également d’un accompagnement individuel, par l’équipe de Médecins du Monde, pour l’ouverture de ses droits de santé. Le parcours commence souvent par un rendez-vous chez un médecin généraliste et l’équipe peut ensuite aider à prendre d’autres rendez-vous si nécessaire. Des ateliers collectifs sont également organisés auprès des patients afin de permettre leur autonomisation dans le suivi administratif de leurs droits de santé.
Lisa Cann, coordinatrice du programme Médiation en santé de Médecins du Monde en Guyane, explique la complémentarité de la PASS de ville avec la PASS hospitalière : “Les patients que nous accompagnons sont souvent atteints de diabète ou d’hypertension. Ils peuvent aussi avoir besoin de soins infirmiers sur plusieurs mois, ou de soins psychiatriques par exemple. Nous avons signé des conventions avec des professionnels libéraux qui les reçoivent : il s’agit de médecins, pharmaciens, laboratoires d’imagerie médicale, infirmiers… Les personnes sont souvent orientées vers nous par le Centre Hospitalier de Cayenne avec lequel nous avons l’habitude de travailler ou bien via nos équipes mobiles ou suite à des maraudes par exemple.”
La PASS de ville est assurée par une chargée de projet et des médiatrices en santé issues de communautés diverses et maîtrisant différentes langues, comme le créole haïtien ou le portugais. Pour Camille Guédon, coordinatrice régionale de la délégation Guyane pour Médecins du Monde : “Le rôle des médiatrices est très important parce qu’elles font le lien avec des personnes de cultures très variées, qui ont une relation au monde et à la santé différente, qui pratiquent parfois la médecine traditionnelle… Les médiatrices en santé permettent notamment d’informer les médecins sur ces pratiques, d’être une passerelle entre le monde occidental et les cultures rencontrées”. Là encore, le lien, l’interface, le rôle d’intermédiaire de la médiation en santé est mis en exergue.
Pourquoi nous soutenons la Croix Rouge française et Médecins du Monde en Guyane :
Qu’elle soit un outil de plaidoyer, un appui des soignants pour la prise en charge de populations enclavées, une interface entre l’administration et les patients en situation de précarité, une porte vers l’accès à la médecine de ville pour les plus démunis… la médiation en santé démontre, grâce à l’implication de nombreux acteurs en Guyane, son utilité pour toutes les parties prenantes. Parce que ce territoire est celui de nombreux défis, toutes ses facettes y sont expérimentées et déployées pour trouver des solutions à la fois pour les habitants et les professionnels de santé qui les accompagnent.
* Frontalier du Brésil et du Suriname, la Guyane française compte un peu plus de 300 000 habitants et fait face à de nombreuses problématiques qui ont un impact direct sur la santé des habitants : plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté (contre 14,5 % pour la France métropolitaine, source Insee) ; la population étrangère représente un tiers de la population, dont un grand nombre de personnes en situation irrégulière et sans protection sociale ; le climat équatorial et la topographie (avec 96 % de forêts, source ONF) créent des inégalités géographiques avec une forte densité de population sur le littoral et des communes extrêmement isolées à l’intérieur des terres…
** – Les maladies à transmission hydrique sont véhiculées par l’eau contaminée et le manque d’assainissement (choléra, diarrhée, dysenterie, hépatite A, fièvre typhoïde…).
– Les maladies zoonotiques et à transmission vectorielle sont causées par un virus, une bactérie ou des parasites et sont transmises aux humains par des animaux ou des insectes. Certaines maladies d’origine animale doivent être transmises par l’intermédiaire d’un vecteur (par exemple, un moustique ou une tique) pour infecter l’homme.